Le drame survenu à Reims le 11 juin dernier, où une mère de famille a trouvé la mort après le déclenchement défectueux de l'airbag de sa Citroën C3, rappelle brutalement que le scandale Takata reste une menace mortelle sur nos routes. Cette tragédie a poussé le ministre des Transports Philippe Tabarot à ordonner, le 24 juin, l'immobilisation immédiate de 800 000 véhicules supplémentaires. Retour sur l'un des plus graves scandales industriels de l'automobile moderne, qui continue de tuer près de vingt ans après ses débuts.
Une nouvelle victime relance l'urgence des rappels
L'accident de Reims marque un tournant dans la gestion française de cette crise. La conductrice d'une quarantaine d'années a été mortellement blessée par la projection de fragments métalliques lors du déploiement de l'airbag, après avoir percuté une glissière de sécurité. Sa fille de 14 ans, passagère du véhicule, a également été blessée dans cet accident qui porte à 13 le nombre de morts en France liées aux airbags Takata.
Face à cette nouvelle tragédie, le gouvernement a convoqué les dirigeants de Citroën pour exiger l'application immédiate d'une mesure de "stop drive" concernant tous les véhicules C3 et DS3 nécessitant un changement d'airbag. Cette décision radicale concerne des véhicules immatriculés entre 2008 et 2013, particulièrement exposés au risque en raison de leur ancienneté. Stellantis avait déjà lancé au printemps 2024 une campagne de rappel touchant 246 000 clients, suivie en février 2025 d'une extension à 236 000 propriétaires supplémentaires dans le nord de la France.
La genèse d'un scandale industriel planétaire
L'affaire Takata trouve ses origines en 2008 aux États-Unis, lorsque Honda découvre les premiers dysfonctionnements graves de ces équipements de sécurité censés sauver des vies. Le problème technique réside dans l'utilisation de nitrate d'ammonium comme agent propulseur dans les gonfleurs d'airbags. Cette substance, particulièrement sensible à l'humidité et aux variations de température, se dégrade avec le temps jusqu'à provoquer une explosion incontrôlée du dispositif en cas de déclenchement.
Au lieu de se gonfler normalement pour protéger les occupants, l'airbag explose littéralement, projetant des fragments métalliques du boîtier à haute vélocité dans l'habitacle. Les victimes subissent des blessures comparables à celles causées par des éclats d'obus, transformant un équipement de sécurité en arme mortelle. Les climats chauds et humides accélèrent la dégradation du nitrate d'ammonium, expliquant la surreprésentation des accidents dans les territoires d'outre-mer français et les États du sud américain.
L'escalade mondiale du scandale (2014-2017)
L'année 2014 marque le début de la prise de conscience mondiale de l'ampleur du problème. La National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA) américaine lance les premières investigations d'envergure, révélant que le problème touche pratiquement tous les grands constructeurs automobiles. Ford, Chrysler, Toyota rejoignent Honda dans la liste des marques concernées. Chez Takata, la crise provoque le départ du président Stefan Stocker, remplacé par Shigehisa Takada, petit-fils du fondateur de l'entreprise.
L'année 2015 voit l'explosion du nombre de rappels. Nissan rappelle 1,56 million de véhicules dans le monde, Toyota 5 millions, mais Honda reste le plus touché avec 12 millions d'unités concernées. Le scandale emporte le directeur général de Honda, Takanobu Ito, qui doit démissionner après la mort de cinq conducteurs de la marque aux États-Unis. En novembre 2015, la NHTSA inflige une amende record à Takata : 70 millions de dollars payables immédiatement et 130 millions supplémentaires conditionnels, assortis de l'obligation de cesser la production des airbags défectueux.
La spirale infernale s'accélère en 2016 et 2017. Malgré les campagnes de rappel massives, les accidents mortels continuent. Le 31 mars 2016, un conducteur texan trouve la mort dans sa Honda Civic de 2002 non réparée, portant à 10 le nombre de décès aux États-Unis. Écrasée sous 8 milliards d'euros de dettes et face à l'impossibilité de faire face aux indemnisations, Takata dépose le bilan en juin 2017. L'entreprise centenaire, cotée depuis 1933 à la Bourse de Tokyo, disparaît, ses actifs étant rachetés pour 1,4 milliard d'euros par l'équipementier américain Key Safety Systems.
L'ampleur vertigineuse du problème en France
Le ministère des Transports français dresse un bilan alarmant : plus de 2,3 millions de véhicules équipés d'airbags Takata défectueux circulent encore en métropole. La liste des marques concernées dans l'Hexagone donne le vertige, touchant pratiquement tous les constructeurs : Audi, BMW, Cadillac, Chevrolet, Chrysler, Citroën, Daihatsu, Dodge, DS, Ferrari, Ford, Honda, Jaguar, Jeep, Lancia, Land Rover, Lexus, Mazda, Mercedes, Mitsubishi, Nissan, Opel, Peugeot, Seat, Skoda, Subaru, Suzuki, Tesla, Toyota et Volkswagen.
Les autorités françaises ont recensé officiellement 30 accidents liés aux airbags Takata sur le territoire national, ayant causé 13 décès dont 12 en Outre-mer où les conditions climatiques accélèrent la dégradation du nitrate d'ammonium. Le parquet de Paris centralise l'ensemble des procédures judiciaires liées à cette affaire, tandis que les pouvoirs publics multiplient les campagnes d'information et maintiennent une liste actualisée des rappels sur les sites gouvernementaux.
Les défis persistants d'une crise sans fin
Sept ans après la faillite de Takata, la gestion de cette crise reste un défi majeur pour l'industrie automobile et les autorités. Le remplacement des airbags défectueux se heurte à plusieurs obstacles : la difficulté à localiser tous les véhicules concernés, notamment ceux ayant changé plusieurs fois de propriétaire, le coût des réparations pour les constructeurs, et la disponibilité limitée des pièces de rechange face à l'ampleur des rappels.
Les véhicules les plus anciens, particulièrement ceux datant de 2008 à 2013, présentent le risque le plus élevé. Le temps écoulé depuis leur fabrication augmente exponentiellement la probabilité de dégradation du nitrate d'ammonium. Les autorités françaises ont donc adopté une approche graduée, priorisant les rappels selon l'ancienneté des véhicules et les zones géographiques à risque, notamment les départements d'outre-mer et les régions au climat humide.
La décision d'immobilisation forcée prise par le gouvernement français constitue une mesure sans précédent dans l'histoire automobile du pays. Cette approche radicale témoigne de la gravité de la situation et de la volonté des autorités de prévenir de nouveaux drames. Les propriétaires concernés se voient interdire toute utilisation de leur véhicule jusqu'au remplacement de l'airbag, une mesure contraignante mais nécessaire face au risque mortel.
Les enseignements d'une tragédie industrielle
L'affaire Takata soulève des questions fondamentales sur la sécurité automobile et la responsabilité des équipementiers. Comment un composant de sécurité a-t-il pu devenir une menace mortelle pendant des années sans détection précoce ? La course à la réduction des coûts, qui a conduit Takata à privilégier le nitrate d'ammonium moins cher mais plus instable que d'autres propulseurs, interroge sur les arbitrages entre rentabilité et sécurité dans l'industrie automobile.
Le scandale met également en lumière les limites des systèmes de rappel traditionnels. Malgré les campagnes massives de communication, des millions de véhicules dangereux continuent de circuler, leurs propriétaires n'ayant pas conscience du danger ou négligeant les avertissements. La traçabilité des véhicules sur le marché de l'occasion, particulièrement complexe, complique encore la tâche des autorités et des constructeurs.
Pour les consommateurs, cette affaire rappelle l'importance de répondre systématiquement aux campagnes de rappel, même pour des véhicules anciens. La vérification régulière de l'immatriculation sur les sites gouvernementaux dédiés permet de s'assurer qu'aucun rappel n'a été manqué. Face à un rappel concernant les airbags Takata, l'immobilisation immédiate du véhicule jusqu'à sa réparation peut littéralement sauver des vies.
L'affaire Takata, loin d'être terminée, continuera probablement de marquer l'actualité automobile dans les années à venir. Avec des millions de véhicules encore équipés d'airbags potentiellement mortels circulant dans le monde, chaque jour qui passe augmente le risque de nouvelles tragédies. La mobilisation exceptionnelle des autorités françaises après le drame de Reims montre que la patience face à cette bombe à retardement a atteint ses limites. Pour les propriétaires de véhicules concernés, le message ne peut être plus clair : ne prenez aucun risque, votre vie en dépend.
Avocat en droit automobile depuis plus de 30 ans, j'ai créé une FAQ sur ce sujet.