En tant qu'avocat spécialisé en droit automobile depuis 30 ans, je suis sur le terrain au quotidien. Mais je prends aussi le temps d'observer avec attention l'évolution du marché automobile européen et les défis juridiques qui en découlent. L'un des dossiers les plus actuels concerne la création d'un label "Made in Europe", véritable enjeu de survie pour notre industrie automobile face à la concurrence asiatique.
Une industrie sous pression inédite
L'industrie automobile européenne est confrontée à une situation sans précédent. Les constructeurs et équipementiers européens font face à une concurrence chinoise qui progresse de façon inexorable sur nos marchés, avec des tarifs jusqu'à 30% inférieurs à ceux pratiqués en Europe. Cette différence de prix s'explique en grande partie par les subventions massives dont bénéficient les industriels chinois.
Le constat est alarmant : en seulement un an, le secteur automobile européen a déjà perdu plus de 76 000 emplois, et la tendance s'accélère. Plus inquiétant encore, environ 13 usines chinoises sont actuellement en construction ou en projet sur le sol européen, dont la moitié est déjà confirmée.
Le label "Made in Europe" : une solution concrète
Face à cette situation critique, les équipementiers et constructeurs automobiles appellent à la création urgente d'un label "Made in Europe". L'objectif est clair : imposer un pourcentage minimum de composants européens dans les véhicules commercialisés sur notre continent.
Les propositions les plus ambitieuses suggèrent d'imposer 80% de contenu local européen pour une voiture complète et 70% pour les pièces automobiles. Cette mesure vise à garantir que même les constructeurs étrangers qui s'implantent en Europe contribuent réellement à l'économie locale et à l'emploi.
2026 : une date butoir de la plus haute importance
Selon les fournisseurs automobiles français regroupés au sein du Comité de Liaison des Industries Fournisseurs de l'Automobile (CLIFA), l'action doit être engagée dès 2026. Ce calendrier n'est pas anodin : il correspond à l'accélération de la pénétration chinoise sur lemarché européen et au moment où la balance commerciale avec la Chine pour les pièces automobiles est devenue négative en 2024, une première historique préoccupante.
Jean-Louis Pech, président de la Fédération des Industries des Équipements pour Véhicules (FIEV), qui représente les principaux équipementiers, ne mâche pas ses mots : "Tout ce qui était annoncé est en train de se réaliser. La Chine fait son job, c'est nous qui ne faisons pas le nôtre. C'est nous qui ne savons pas nous protéger, comme sait faire la Chine. C'est nous qui sommes ouverts aux quatre vents, qui n'avons pas de stratégie industrielle."
Une mise en œuvre techniquement possible
La bonne nouvelle est que la mise en place d'un tel label semble techniquement réalisable à court terme. Les méthodes de calcul du contenu européen existent déjà, et les douanes pourraient être chargées du contrôle. Des mécanismes similaires fonctionnent d'ailleurs déjà dans d'autres régions du monde, notamment aux États-Unis avec le label "Made in USA".
Les implications juridiques d'un tel dispositif
D'un point de vue juridique, plusieurs questions se posent :
1. Compatibilité avec le droit international du commerce : Un tel label devra être conçu pour respecter les règles de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), tout en offrant une protection légitime à l'industrie européenne.
2. Harmonisation des réglementations nationales : Les 27 États membres devront s'accorder sur une définition commune de ce qui constitue un "contenu européen", ce qui nécessitera une coordination législative importante.
3. Mécanismes de contrôle et sanctions : La crédibilité du label reposera sur des contrôles rigoureux et des sanctions dissuasives en cas de non-conformité.
4. Protection des consommateurs : Le label devra garantir une information transparente pour les consommateurs, sans créer de distorsion de concurrence injustifiée.
En bref,
La création d'un label "Made in Europe" pour l'industrie automobile représente bien plus qu'une simple mesure protectionniste. Il s'agit d'une réflexion stratégique sur la souveraineté industrielle européenne et sur notre capacité à maintenir une industrie automobile compétitive et innovante dans un contexte mondial en pleine mutation.
En tant qu'avocat spécialisé dans le droit automobile, je suivrai avec attention l'évolution de ce dossier qui aura des implications considérables tant pour les constructeurs que pour l'ensemble de la chaîne de valeur automobile, mais aussi pour les consommateurs européens.L'enjeu est de taille : préserver des centaines de milliers d'emplois qualifiés, maintenir un savoir-faire industriel unique et assurer la transition vers une mobilité durable conçue selon les standards européens. La réponse européenne à ce défi sera déterminante pour l'avenir de notre industrie automobile.